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« Tous les hasards sont abolis. L'être
se tient au milieu de l'amour,
avec ce peu d'espace autour
dont on est maître. »

Rainer Maria Rilke, Les Fenêtres

            Il y a une dimension édénique dans le projet photographique d'Hervé Lassïnce. L'artiste, qui n'a entrepris ce travail que depuis cinq ans, prélève des moments d'intimité de gens qui lui sont proches - amis, amants, amoureux... Le modèle est souvent représenté dans le flux de son quotidien, à son domicile ou en visite chez l'artiste. Le sentiment d'Éden tient à la douceur aimante du regard, la beauté suave de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, toujours pris en lumière naturelle et câline, le sentiment de vulnérabilité et d'abandon qui en émanent. L'Éden, c'est une famille inventée (le projet est intitulé Mes frères), un cercle affectif (les modèles se connaissent souvent), une communauté amicale. Une communauté sexuelle aussi, car beaucoup des sujets photographiques d'Hervé Lassïnce sont des garçons homosexuels, et la visée de l'artiste est aussi de documenter la visibilité sociale récente, normalisée, en voie d'égalitarisation de l'homosexualité. L'Éden est aussi politique.
          L'Éden est avant tout en devenir, c'est celui d'un rapport pacifié à la différence sexuelle, d'un lent glissement du monde vers une possible béatitude.
          Mais cet état d'Éden, c'est peut-être aussi que quelque chose déjà a été perdu. Hervé Lassïnce cerne les corps en plans larges (pas tout le temps, souvent quand même). Extrêmement centré, le corps entier dans le cadre, le sujet est voluptueusement enserré dans l'image. Comme dans un sarcophage. Il s'alanguit. Son corps se détend, ses muscles se débandent. D'ailleurs, parfois, ces garçons nus ou presque viennent de faire l'amour. Le déclic intervient juste après. Après l'effort, après l'orgasme... Après la vie déjà?
Si l'Éden est la mort, elle est douce.

Jean-Marc Lalanne

2014

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